Travailler avec un illustrateur : cession de droits et autres subtilités du droit d’auteur.

Des fois dans mon métier, c’est usant de faire face à l’ignorance des gens, pourtant souvent plein de bonne foi, qui ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas faire absolument tout ce qu’ils veulent avec un dessin qu’ils m’ont commandé. C’est vrai que, comme ça, ça paraît un peu abstrait de se dire qu’on n’a pas le droit de faire ce qu’on veut de quelque chose qu’on a payé.

 
Alors je me suis dit que j’allais vous expliquer un peu ce qu’implique et n’implique pas une cession de droits pour un dessin. Comment ça se passe pour l’utiliser, et pourquoi on ne peut pas faire ce qu’on veut avec.
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Même si ça y ressemble, une illustration n’est pas un meuble que l’on peut revendre comme on veut quand on n’en veut plus. Les créations artistiques sont régies par de nombreuses lois un peu obscures et pas toujours très faciles à comprendre, et notamment par deux types de droits : les droits moraux et les droits patrimoniaux.
 
Moi, quand je dessine par exemple des couvertures pour des livres, qu’elles soient pour des maisons d’édition ou pour de l’autoédition, je vends un service et je cède ce qu’on appelle mes droits patrimoniaux (aussi connus sous le nom de licence – c’est ce que vous payez sur les banques d’image par exemple). Ça veut dire que j’autorise la personne à utiliser mon œuvre dans des conditions définies par écrit, contre rémunération (ou pas, d’ailleurs, le travail bénévole compte aussi).
 
La personne ou l’entreprise à qui je cède ces droits est tenue, par la suite, de n’utiliser l’illustration que dans le cadre des conditions définies entre elle et moi. Par exemple, si on se met d’accord sur le fait que le dessin ne sert que de couverture, interdiction d’en faire des flyers, des marque-pages, etc. À l’inverse, si je cède les droits pour toute la communication autour du livre ainsi que pour les cessions tierces en France et à l’international, la personne possédant ces droits d’exploitation pourra les sous-céder pour les éditions poche, audio, les traductions, etc. Tout dépend de ce qu’on a négocié.
 
Mais.
 
Je conserve, à vie, ce qu’on appelle les droits moraux. Ce truc atteste qu’en fait, ma création est à moi et rien qu’à moi, que j’en fais ce que j’en veux jusqu’à 70 ans après ma mort.
Ça m’autorise même à changer d’avis et à ne plus vous autoriser à utiliser mes créations si j’estime que vous faites n’importe quoi avec, même si elles sont sous contrat. Mais ça veut surtout dire que, peu importe combien vous avez payé pour avoir le droit de mettre mon dessin sur votre couverture, peu importe que ce dessin illustre votre univers… mes créations m’appartiennent TOUJOURS.
Si vous cessez de l’exploiter dans le cadre défini au début, vous êtes tenus de m’en informer. Et, si vous désirez l’exploiter dans un cadre différent, vous êtes obligés de me demander mon accord.
 
Ce que ça veut dire, concrètement :

> Même si vous avez payé pour une illustration, vous n’avez pas le droit d’en faire ce que vous voulez. Par exemple, si vous êtes un auteur publié en maison d’édition (à vrai compte d’éditeur, donc l’illustration de couverture aura été financée par la maison d’édition), et que vous reprenez vos droits pour X ou Y raison (un désaccord, la maison ferme…) les conditions d’exploitation que nous avions définies ensemble ne peuvent plus être remplies. Le contrat est donc caduc.

Qui récupère alors les droits ? La personne qui l’a payée ? Celle dont l’univers a été illustrée ?
NOPE : c’est moi. La créatrice. Et je suis la seule à pouvoir décider de l’avenir de cette illustration : soit la garder pour moi, soit définir une nouvelle cession de droits avec qui je veux. L’auteur concerné s’il part en auto-édition, sa nouvelle maison d’édition, quelqu’un d’autre… 

 

 
 D’autres exemples :
 
Vous êtes un auteur indépendant qui a l’opportunité de publier le roman dont j’ai fait la couverture en édition classique : Dans l’hypothèse formidable où votre éditeur accepterait de garder cette couverture, il faudra qu’il me contacte pour me demander 1- mon accord 2- d’établir une nouvelle cession de droits. Et inversement si vous quittez votre éditeur pour vous autoéditer. (Remarque : si votre éditeur prétend que ce n’est pas la peine de contacter le créateur de l’œuvre, intéressez-vous de très très près à votre contrat, parce que ça pue le blaireau)

• Vous êtes éditeur et l’illustration que vous m’avez payée irait bien sur un autre livre que celui qui était prévu à la base ? Là encore, ça sort du cadre que nous avions défini > vous me demandez.
 

Vous n’avez plus l’utilité de votre illustration, mais elle irait à merveille sur le livre de la nièce de la voisine de la collègue de votre conjoint qui va, quel merveilleux hasard, se faire éditer bientôt ? Vous me demandez.

 
  Mais surtout, en aucun cas,
JAMAIS
Vous n’avez le droit de revendre cette illustration à quelqu’un sans mon accord,
ni de décider ce qu’il peut en faire à ma place.
 
Ceci est illégal.

 
Je suis la seule à pouvoir décider ce que je fais de mes créations, la seule à pouvoir choisir ce que les gens ont le droit de faire avec. Donc, si votre copain veut utiliser mon illustration, ce n’est pas à vous qu’il doit payer des droits et ce n’est pas non plus à vous qu’il doit demander, mais à moi.
Moi, la créatrice.
Il est obligatoire de me consulter dès lors que vous décidez d’utiliser l’illustration que je vous ai faite dans un autre cadre que celui défini au début.
Grave logique, non ?
 
  
Sinon… eh bien, c’est du vol.
Voilà, bisou, et méfiez-vous des ploucs déguisés en éditeurs !

28 réflexions sur “Travailler avec un illustrateur : cession de droits et autres subtilités du droit d’auteur.

  1. grenouillegarou dit :

    Bonjour, je me permet de te poser une petite question, déjà merci pour ton article qui m’a un peu éclairée sur l’utilisation des dessins ! Je me lance dans l’illustration, en ce moment je met en page les textes d’une auteur qui va s’auto éditer et je vais mettre en image son récit. (en fait j’ai déjà commencé). En faisant quelques recherches j’ai entendu parlé de droits de cessions qui sont obligatoires (c’est ce que tu appelles « les droits d’exploitation » je crois ????). Mon problème est le suivant : Comment ça marche ? Comment ça se calcule ? On m’a dit que c’était en fonction du prix de vente du livre mais je ne suis pas beaucoup plus éclairée que ça ^^’ Je trouve pas mal de doc concernant l’édition « traditionnelle » mais quasi rien sur l’auto édition :/ Pourrais tu m’aider à y voir plus clair s’il te plait ?
    D’avance merci et surtout super blog !

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  2. doucet dit :

    bonsoir, c’est hyper clair. merci pour ces informations. Par contre, si vous ne voulez plus illustrer mes textes, comment puis je continuer avec un autre illustrateur ?

    merci à vous

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  3. belvaude valerie dit :

    Bonsoir Merci de vos informations. .. Je suis en pleine création d entreprise je suis brodeuse de métiers je créer mes modèles à partir d’images d illustrateurs à qui je demande l autorisation dans un premiers temps pour le calcul des droit moral des auteurs Un contrat et passer et donc on paie des royaltiee au mois ou à l annee 6 % HT du chiffre d’affaires annuelle.. avoir répondu ou vous avoir éclairer à bientôt

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  4. Zordolan dit :

    Bonjour,

    Concernant les droits, imaginons que je crée une marque et que j’emploie dans mon entreprise un illustrateur. Est ce que ses illustrations qu’il aura réalisé à mon service et pour mon entreprise lui appartiennent ou est ce qu’elle appartiennent à la marque (ou à l’entreprise)?

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    • Tiphs dit :

      Tout dépend du contrat établi lorsque vous embauchez cette personne : certains peuvent préciser que tout ce qui a été créé dans le cadre du travail dans votre entreprise appartiennent à l’entreprise. C’est le cas pour le graphisme, mais il faudrait voir directement avec un juriste spécialisé pour savoir ce qu’il en est des autres domaines artistiques (car la question peut également se poser pour les photos, vidéos et articles de journalistes, etc.)

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      • Arnaud dit :

        Bonjour, merci pour votre article, il y a tres peu d’informations sur la sujet.
        je souhaite vendre des jeux pour enfants qui comprennent 3 posters chacun. Les posters seront donc réalisés par un ou une illustrateur. Auriez-vous un modèle de contrat de cession qui me permettent d’obtenir les droits de revente de ces illustrations. La législation semble compliqué et difficile à comprendre ce qui est un peu frustrant.

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      • Tiphs dit :

        Bonjour,
        Non désolée, je ne possède pas d’exemple de contrat pour ce type de prestation, bien différente de ce dont j’ai l’habitude. Je vous encourage à vous rapprocher d’un juriste spécialisé en propriété intellectuelle, qui pourra vous répondre au mieux.

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  5. Because Banana dit :

    Merci pour ce cours juridique accéléré ;p c’est intéressant à savoir, hormis le bon sens mais qui peut se perdre (notamment si on est en grande panique/stress (l’humain, toujours) ou si l’éditeur (y’en a vraiment qui font ça ?) nous dise qu’il n’y a pas besoin de s’en préoccuper.

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  6. Sabine dit :

    Bonjour 🙂 . Je ne parviens pas à trouver une réponse claire à cette question : le crédit « image » en faveur de l’illustrateur qui a réalisé une page de couverture, est-il une mention obligatoire a indiquer par l’auteur de l’ouvrage ? Si oui, quel article de loi appuie cela ? Merci infiniment pour ta réponse ! Belle fin de journée.

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    • Tiphs dit :

      Bonjour, il est effectivement obligatoire de créditer chaque personne ayant contribué à l’élaboration d’un ouvrage, qu’il s’agisse de l’auteur, de l’éditeur, de l’illustrateur, du correcteur ou même de l’imprimeur et ce en vertu du respect de la propriété intellectuelle. Elles sont d’ailleurs appelées « mentions légales ». N’étant pas juriste, je ne peux pas vous citer l’article précis y faisant référence, en revanche vous trouverez des explications plus poussées sur des sites spécialisés comme la SDGL ou la Charte.
      Bonne journée !

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  7. Ma Rion dit :

    Bonjour et merci pour cette éclairage,
    juste petite question, j’ai fait des illsutrations lorsque j’étais dans une agence, l’agence les a donner sans contrat mais en partenariat verbale, a une personne qui les réutilise et les fait imprimer sur tout type de support qu’elle vend. Dans mon contrat de travail j’avais une clause qui disait que je cédais tous mes droits patrimoniaux de tout ce que j’allais faire au seins de l’entreprise. Est-ce que les illustrations m’appartienne tout de même ? Est-ce qu’elle peut continuer à vendre tous ces supports sans fin ni limite ?

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    • Tiphs dit :

      Bonjour,
      C’est une question qui sort de mon domaine de compétence, malheureusement. Tout dépend du degré de précision de la clause présente sur ton contrat (durée, étendue, etc.) Selon ce qui y est stipulé, cela peut être considéré comme abusif ou non, mais il faudrait voir directement avec un juriste spécialisé en propriété intellectuelle, il aura l’habitude.

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  8. cochonnex dit :

    Bonjour,
    je suis illustrateur mais je ne travaille pas beaucoup dans l’édition (plutôt avec des agences)
    et j’ai un client qui n’est pas éditeur et qui veux faire un livre…Il y connait rien en droits d’auteurs. Bref faut que je m’y colle et que je prépare un contrat pour mes droits d’auteurs (droit d’exploitation etc.) Est-ce que tu sais s’il y a un contrat dont je pourrai me servir de base et adapter à ses besoins ?
    merci 🙂
    mes sites : http://www.beho.net
    http://www.cochonnex.fr

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  9. ROLAND dit :

    Bonsoir,
    Merci bcp pour vos explications.
    J’ai illustré une méthode de musique et j’ai été payée pas l’auteur qui pensait ne pas la faire publier mais uniquement l’utiliser pour ses élèves.
    Quelques mois plus tard, il m’annonce qu’il a contacté une maison d’édition qui accepte de la publier. La maison d’édition ne prévoit pas de droits d’auteur pour moi. Elle me demande juste de donner mon accord pour la publication…est-ce normal?
    Merci d’avance de m’éclaire sur ce sujet.
    Bonne soirée.

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    • Tiphs dit :

      Bonsoir,
      Non, ce n’est pas normal. Si la maison d’édition souhaite utiliser vos œuvres dans un ouvrage dont elle tirera un bénéfice, vous êtes en droit de réclamer une rémunération. Il s’agit d’une cession de droits différente de celle conclue à l’origine avec l’auteur, donc peu importe que ce dernier ait payé quelque chose, les conditions ont changé : en tant que créateur, vous êtes en droit de refuser purement et simplement l’utilisation de vos illustrations si ce que l’on vous propose ne vous convient pas. Ça sera dommage pour l’auteur, mais plus juste pour vous. Il existe beaucoup trop d’éditeurs qui tentent de gratter quelques euros sur le dos d’illustrateurs en jouant sur leur ignorance. Ne vous laissez pas faire.

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  10. Nawel dit :

    Bonjour,

    merci pour votre article !

    Je suis illustratrice freelance et je dessine en ce moment pour le livre d’un auteur. « Les illustrations demeurent la propriété des illustrateurs dans leur intégralité ». Est ce que cela signifie que les illustrations ne sont utilisables que dans le cadre de son projet, ou bien la propriété intellectuelle me permet de réutiliser mes illustrations ailleurs ? (si je veux par exemple vendre les illustrations en poster, ou imprimé sur des tot-bag ou autres).

    Merci encore et bonne journée 🙂

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    • Tiphs dit :

      Bonjour,
      tout dépend de ce qui a été négocié lors de la cession de droits. C’est pour ça qu’établir un contrat clair avec toutes les utilisations autorisées des deux côtés est indispensable. Bonne journée !

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  11. Marie dit :

    Bonjour, après avoir lu toutes ces possibilités, je n’arrive pas a trouver ma réponse. Je dois évaluer un travail d’illustration pour un auteur, et celui-ci me dit de voir avec l’éditeur pour les droits d’auteurs et de cessions, qu’en est-il exactement… suis un peu perdue.
    Merci infiniment de ta réponse.

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    • Tiphs dit :

      Bonjour,
      Si ces illustrations sont destinées à apparaître dans un livre, et que ce livre est publié à compte d’éditeur, c’est effectivement avec l’éditeur qu’il faudra traiter de tout ce qui est rémunération, contrat, cession de droits, etc.
      Par contre, s’il s’agit d’un travail parallèle qui ne sera pas inclus dans le livre exploité par l’éditeur (par exemple une représentation des personnages que l’auteur aimerait utiliser sur son site ou faire imprimer pour offrir pour l’achat de son livre), dans ce cas-là, c’est avec l’auteur.

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  12. Baux dit :

    Bonsoir 🙂 mais comme j’aime trop ta manière de t’exprimer, c’est clair, net et précis, que du bonheur. Merci ❤
    Un auteur me demande quelques illustrations dans son livre de 50 pages, et je n'ai aucune idée concernant la cession des droits… Pourrai-tu m'éclairer stp ?
    Je te remercie d'avance.
    Sylvie

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  13. Chloé dit :

    Bonjour,
    Merci beaucoup pour toutes ces informations !
    J’ai une petite question : un illustrateur nous a cédé à titre exclusif les droits de représentations, reproduction, … de ses œuvres. Une compagnie souhaite utiliser une de ses illustrations dans le cadre de sa tournée, cependant, vu qu’il y a une cession à titre exclusif entre l’illustrateur et nous-même, est-ce qu’il faut un document certifiant notre accord d’utilisation (de quel type?) avant que la compagnie ne se rapproche de l’illustrateur pour avoir également un contrat de cession entre eux ?
    Je vous remercie d’avance pour votre retour,
    Cordialement

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    • Tiphs dit :

      Bonjour,

      Il faudrait effectivement un accord écrit stipulant votre accord. N’ayant jamais été dans ce cas de figure, je ne peux que vous conseiller de vous tourner vers un juriste spécialisé dans la propriété intellectuelle, qui saura vous répondre.

      Bonne journée !

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  14. AP dit :

    Bonjour,
    Je vous remercie pour votre article qui m’a beaucoup appris en tant que nouvelle venue dans l’auto édition.
    Petite question si par chance j’arrive à publier et avoir pas mal de vente et que je souhaite pars la suite en faire un court métrage ou le soumettre à une boite de production ai-je le droit de le faire seul ou dois-je collaborer avec mon illustrateur ? en cas de refus de sa part quel recourt aurai-je ?
    Enfin les dessins que je souhaite illustrer ont été imaginés par moi mais j’ai pas le coup de crayon qui va avec m’appartiennent t-ils ou pas du tout ?
    Je vous remercie d’avance de votre aide

    Bonne journée

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    • Tiphs dit :

      Bonjour,
      Tant que vous n’utilisez pas les dessins réalisés par votre illustrateur, vous pouvez très bien adapter votre œuvre sans lui. Toutefois, si vous désirez l’inclure à ces réalisations, il faudra au préalable établir un nouveau contrat.
      Concernant votre deuxième question : une illustration appartient à jamais à la personne qui l’a dessinée. Peu importe que ce soit votre idée, ce qui compte, c’est la personne qui l’a réalisée.

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